ARMÉE ROUGE (Chine)

ARMÉE ROUGE (Chine)

ARMÉE ROUGE, Chine

«Le pouvoir est au bout du fusil»: quand Mao Zedong énonce, en novembre 1938, cette formule désormais célèbre, il parle en orfèvre. Il fait la guerre à Tchiang Kaï-chek depuis plus de dix ans. Il lui faudra encore combattre plus d’une décennie pour prendre le pouvoir en 1949. En guerre près d’un quart de siècle, le Parti communiste chinois, poursuivant l’idée de Sun Yat-sen, s’est attaché à forger un puissant et loyal outil de sa stratégie révolutionnaire, l’Armée rouge. Rebaptisée Armée populaire de libération (ou Armée de libération du peuple, A.L.P., «Renmin jiefang zhun», en 1946), l’Armée rouge chinoise naît officiellement et symboliquement à Nanchang le 1^er août 1927 d’éléments nationalistes passés aux communistes sous l’impulsion des généraux Zhu De, He Long, Chen Yi et d’autres membres du parti. Encadrée de chefs qui ont acquis leur expérience lors des combats contre les seigneurs de la guerre dans les campagnes des armées républicaines de Sun Yat-sen, puis dans celles de Tchiang Kaï-chek, elle s’endurcit et affirme peu à peu sa puissance dans la rude école de la guérilla contre le Guomindang durant deux périodes (1927-1937 et 1946-1949), séparées par les années de front uni anti-japonais (1937-1945); bientôt elle intervient également dans la guerre de Corée (1950-1953). Prestigieuse, trempée par des épreuves héroïques et décisives («Longue Marche», Yan’an, etc.), première armée chinoise véritablement populaire, l’A.L.P. voit naître dans ses rangs, une génération durant, des volontaires animés d’une idéologie révolutionnaire et d’une ferveur patriotique intense, que contrôlent les commissaires politiques; ceux-ci, formés le plus souvent dans l’esprit défini à l’académie de Huangpu (Whampoa), font de l’A.L.P. une école d’idées et de pratiques révolutionnaires.

Avec le retour à la paix et l’élaboration de la Constitution de 1954, l’A.L.P., faible en matériel et encore formée essentiellement de troupes de semi-guérilla, est reconstituée sur le canevas de l’Armée rouge soviétique. Une conscription sélective remplace le volontariat et, sous l’impulsion du parti du maréchal Peng Dehuai, l’A.L.P. s’inspire d’une conception professionnaliste de type soviétique jusqu’en 1959; à cette date, Lin Biao remplace à la défense Peng Dehuai limogé; en même temps, le modèle soviétique est répudié.

L’une des originalités de l’A.L.P. réside dans son système sévère de sélection, fondé sur des critères d’endurance physique, de discipline, de conscience politique surtout (un soldat sur trois est membre du Parti communiste, ainsi que la majorité des cadres). Cette sélectivité permet d’incorporer — pour trois ou quatre ans selon les armes — un Chinois sur dix en état de servir sous les drapeaux; un certain manque d’équipement grève la faculté d’absorption de plus importants effectifs et commande sans doute cette sélection.

L’A.L.P. dans les années 1990 comprend environ trois millions de recrues en temps de paix. L’armée de terre compte quatre-vingt-quatre divisions d’infanterie, dix de blindés, sept d’artillerie, cinquante régiments du génie, plus divers corps spécialisés. L’armée de l’air compte environ 470 000 hommes, y compris les forces stratégiques, avec 4 970 avions de combat. La marine enfin compte environ 260 000 hommes. À cela il faut ajouter la force de frappe chinoise. Lancé en 1955, le plan de recherche nucléaire a permis à la Chine de mettre au point en un temps record des engins atomiques (bombe A en 1964, bombe H en 1967) que des vecteurs rendent opérationnels à l’échelle intercontinentale. Le déploiement opérationnel des troupes dans les sept régions militaires est commandé par le souci de l’autonomie géographique et stratégique, mais les zones frontières et côtières ont un rôle stratégiquement primordial pour le Comité des affaires militaires, instance suprême de l’A.L.P. qui coiffe les structures relatives à la défense.

Omniprésente au sein de la nation et possédant une énorme force d’appoint dans la masse des démobilisés passés dans la réserve ainsi que dans les milices populaires, l’A.L.P. fait véritablement figure de «poisson dans l’eau». Nucléaire et conventionnelle à la fois, l’A.L.P. se veut révolutionnaire sur le plan de la doctrine et de la stratégie. Le caractère révolutionnaire de l’armée chinoise n’est pas sa moindre originalité; presque tous les dirigeants de Pékin sont passés par l’école de l’A.L.P., et celle-ci s’est toujours donné pour objectif de dépasser sa vocation strictement militaire pour devenir un corps social et politique. C’est ainsi que Mao Zedong et ses collaborateurs ont été amenés à créer une armée politisée, unifiée politiquement et résolument axée sur le facteur humain. «L’armée doit [...] participer à la construction du pays», affirmait de son vivant le maréchal Lin Biao, qui lui confiait un rôle économique, administratif et éducatif inégalé jusqu’alors et totalement inconnu dans le reste du monde.

Débarrassée, en 1965, de toutes les marques apparentes de hiérarchie et démocratisée à l’extrême, l’A.L.P., corps social exemplaire, s’insère dans tous les secteurs de l’activité: labours agricoles saisonniers, grands travaux d’aménagement, transports, campagnes éducatives d’hygiène et d’éducation politique. Aussi l’A.L.P. possède-t-elle une dimension politique qui en fait un élément essentiel des organes collégiaux détenant le pouvoir. En dépit d’apparentes divergences entre factions et malgré les épurations, l’A.L.P. est restée un corps homogène et discipliné, bras armé du parti qui, jusqu’à présent, a toujours «commandé aux fusils».

Encyclopédie Universelle. 2012.